En cette fin d'année un peu morne, quoi de de plus enivrant et régénérateur que de pénétrer ce bon vieux village Saint-Paul dans le IVe arrondissement de Paris. Face à l'imposante enceinte de Philippe Auguste, la rue calme des Jardins-Saint-Paul, en plein Marais, avec ses anciennes maisons qui la longent à distance respectable, nous restitue le parfum de la Renaissance. Ici, nous croisons le fantôme de Rabelais qui vécut et mourut le 9 avril 1553. Ayant cette muraille vieille de trois siècles et demi devant les yeux, l'auteur de Pantagruel n'avait de cesse de la railler pour sa vétusté. Aussi ne faisait-il pas dire à Panurge dans son Pantagruel paru en 1532 : "Voyez cy ces belles murailles. O que fortes sont et bien en point pour garder les oisons en mue. Par ma barbe, une vache avec un pet en abatroit plus de six brasses."
Deux grandes artistes se sont donc donné rendez-vous en ce lieu magique pour y exposer et présenter leurs dernières œuvres : alors, à tout seigneur, tout honneur ! Kayoko Hayasaki, est une habituée du Village Saint-Paul, et plus particulièrement du célèbre Atelier Mire qu'elle fréquente depuis la fin du XXe siècle. Dès 1999, elle modèle et sculpte la terre à l'espace Sorano de Vincennes. Au cours d'un de ses nombreux voyages au Japon, où elle perfectionne sa formation aux techniques traditionnelles de poterie, modelage et céramique, elle rencontre le maître céramiste Tadashi Mori, par ailleurs membre de l'académie internationale de céramique de Genève, avec lequel elle travaillera au cours de plusieurs séjours. A l'invitation de Kayoko Hayasaki, le maître japonais se rendra en France et s'intéressera à la "bonne qualité" de la terre de la campagne bourguignonne. A tel point qu'il en préconisera une recette pour l'accommoder: A l'instar du grès, cette terre peut être cuite à 1 300 degrés.
Depuis 2005, Kayoko est devenue propriétaire de l'Atelier Mire qu'elle a développé et agrandi en créant la galerie qui porte son nom. Si cette artiste continue d'enseigner la céramique, elle persévère dans ses recherches, expériences et découvertes utiles à la pratique de cet art ancestral. Aussi, elle fréquente inlassablement les hauts lieux de la terre et du feu tant en France (Pouligny, la Borne) que sur sa terre natale (Bizen, Comono). Toutes les techniques de cuisson lui sont familières, mais elle affectionne plus particulièrement la cuisson au bois. Au cours de notre visite, elle nous a présenté 36 tasses à saké merveilleusement réalisées par "Yakishimé", une cuisson électrique qui ressemble à une cuisson au bois. Concernant la forme de ses œuvres, elle adopte une nouvelle expérience avec des pièces à doubles parois, ouvertes et fermées, mais émaillées. Ici, l'harmonie dans la dissymétrie de ses œuvres est bien révélée par la technique de l'Ikebana. Une pure merveille! Cette artiste pleine d'humilité et de sagesse sait partager avec ses hôtes son talent créatif et sa bonne humeur. Merci Kayoko!
Avec cette Tranche de ville, prélevée sur des immeubles de Paris, la photographe d'art Martine Peccoux - bien connue des lecteurs de notre magazine -, mais aussi de tous les amateurs de belles photos en argentique, nous présente des œuvres en osmose avec les céramiques, ses voisines d'exposition. Formée à l'art photographique à l’École supérieure d’arts graphiques Guillaume Met de Penninghen (ancienne Académie Julian), puis plus tard assistante chez Jean-Marie Chourgnoz, publicitaire et photographe réputés, Martine Peccoux représente " l’art de la prise de vue jusqu'à tenter d’atteindre la perfection, le travail sur la lumière ou le cadrage", car rien n’échappera désormais à l’œil vigilant de cette artiste pour qui « la photo ne peut être décrite par des mots ». « La photo, nous dit-elle, doit parler d’elle-même, puisque c’est une image fixe qui doit ressentir quelque chose. »
Cette journaliste professionnelle fera les beaux jours des grandes agences de presse pendant plus de vingt-cinq ans avant d'assouvir sa passion pour le cinéma en participant à plus de cinquante films français et américains, en qualité de photographe de plateau. Ainsi, de 1980 à 1986, elle croquera les plus grands acteurs et deviendra, entre autres, la photographe attitrée d’Yves Montand*. Pour ces portraits, Martine Peccoux travaille exclusivement en argentique et en noir et blanc. « J’aime l’argentique, me confie-t-elle, particulièrement au moment du développement. Se faire peur est magique ! » Cette talentueuse artiste au caractère bien trempé est cotée à Drouot sur le marché de la photographie depuis 2007. Pour cette nouvelle exposition elle a "traqué", avec une belle créativité, les façades d'immeubles parisiens sous des angles improbables, au graphisme original tiré vers le ciel de la perfection. L'imaginaire et le ressenti de Martine ont fait le reste, car derrière ces façades, ce sont des volumes, des espaces dans lesquels Martine Peccoux nous invite à la réflexion.
L’art du reportage photo fait appel à une intelligence et à une sensibilité de tous les instants, où réussite et échec se côtoient au millième de seconde. En ce sens, les œuvres de Martine Peccoux relèvent bien de la magie : l’intimité au bout de l’objectif et la lumière pour horizon. Un régal pour les yeux.
Pour la Rédaction d'Art'issime
Pierre-Émile GIRARDIN
*Art'issime n° 30