Il est originaire d’une belle famille française, républicaine et laïque, romanesque en diable, intellectuelle, avec un père professeur de français-histoire-géo et un grand-père maternel maîtrisant le latin et le grec appris à la fin du XIXe siècle chez les Jésuites. Leurs destins se sont croisés après la Grande Guerre sur un bateau partant pour Alexandrie et une famille s’est construite au sein de cette ville égyptienne quelques années plus tard. Réfugié pour l’un, avec sa famille chassée de Smyrne par les Turcs ; émigré sous contrat de l’Éducation nationale pour l’autre, avide de voyages et de connaissances. Le roman du peintre Cabus a donc débuté le 21 janvier 1928 à Alexandrie. Fils unique, il sera, dès son plus jeune âge, confronté à un brassage culturel d’importance dans les petites classes du lycée de la ville dirigé par son père.
Au milieu d’enfants égyptiens, érythréens, turcs, ou éthiopiens, le jeune Cabus s’ouvrira au monde cosmopolite et pauvre qui l’entoure. Très tôt aussi, il dessine. Pouvait-il alors ne pas prendre le contrepied de cet imposant cercle familial en choisissant une autre voie – celle-là non tracée -, sinon par ses crayons et pinceaux ? Ne déclarait-il pas à son père dès l’âge de huit ans : « Je veux être peintre. » Plus tard, cet homme éclairé l’entendra. « Mon père m’a ouvert les yeux sur la peinture, il m’a fait découvrir les cubistes, les fauves et d’autres courants picturaux qui foisonnaient entre les deux guerres. »
Cependant, le retour en France de la famille Cabus va se dérouler à la veille de la Seconde Guerre mondiale. Nouvelles peurs, nouveaux déchirements pour ces Français rapatriés. Le père de Gérard Cabus est muté à Tournon-sur-Rhône, en qualité d’inspecteur primaire. Cabus me dit « avoir à cette époque sombre dessiné à tour de bras » en racontant des histoires qu’il illustrait dans un journal qu’il avait réalisé. Nouvelle mutation du père en 1944, mais à Lyon, cette fois. Cabus rejoint alors ses parents en 1945 et entre au lycée du Parc dans le VIe arrondissement de la ville. Deux ans plus tard, il franchit les portes des beaux-arts de Lyon sans aucun diplôme pour devenir dessinateur d’illustrations. Tout en étudiant, il apprend le métier de taille-doucier chez un imprimeur lyonnais et fréquente une classe de décoration. Il dessine également du modèle vivant. Cependant, il quittera les beaux-arts de Lyon d’où il sera finalement exclu. Il suit alors des cours de peinture le soir et travaille avec le graveur Barbier. Il déménage de nouveau avec ses parents dans la région parisienne et entre à l’École Estienne en 1951.
Sous la direction de MM. Coté et Mercier, il apprend la gravure à l’eau-forte et la lithographie. Par la suite, il améliorera ses connaissances en peinture sous la houlette du professeur Lombard à la Ville de Paris. Ne pouvant obtenir de parrainage, il abandonnera à regret le métier d’illustrateur de livres. Après avoir fait à peu près le tour des Arts graphiques, il va enfin exercer son métier de peintre qu’il avait choisi dès sa prime enfance. Partageant une chambre de bonne à Paris avec sa première épouse, elle-même metteur en page et graphiste, il va mener une dure vie de bohème partageant son temps entre Paris et les Baux-de-Provence, où il peindra pendant cinq ans. Il y rencontre Louis Jou, prestigieux peintre-graveur et typographe espagnol, ami du grand modèle Kiki de Montparnasse. Il revient sur Meudon où il peint de grands formats. A cette époque, il est remarqué par l’artiste peintre Vieira da Silva. Par son intermédiaire, il expose à la Galerie Pierre Loeb où il signe un contrat avec d’autres artistes déjà célèbres tels Kallos, Macris, Dufour et Georges Romathier.
"Je peins au pastel sec..."
Cabus restera fidèle à cette galerie jusqu’en 1961, la riche clientèle américaine et belge, ainsi que les Filatures du Nord, disparaissant progressivement. Il faut d’ailleurs préciser que dès 1959, le marché de l’art parisien se déplacera à New York, Paris perdant inexorablement sa place de leader. Gérard Cabus exposera pendant cette période encore faste, entre autres, au Salon de Mai créé par un groupe de peintres, sculpteurs et graveurs, en octobre 1943, pour s’opposer à l’idéologie nazie et lutter contre sa condamnation de « l’art dégénéré ». L’année 2014 aura vu la dernière édition de ce salon avec un hommage appuyé rendu aux quelque cinq mille artistes qui ont participé à cet événement annuel pendant soixante-sept ans. Il participe également au Salon d’Automne et au Salon des Réalités Nouvelles fondé en 1946.
Aujourd’hui, il continue de peindre, mais il a abandonné l’huile, car «… la préparation technique de la toile à l’état brut, à la colle de peau et au blanc de Meudon, me revient trop cher et ma petite retraite ne suffit pas », souligne-t-il. « Je peins au pastel sec depuis plus de cinq ans, je réalise des gouaches et m’intéresse à l’aquarelle. J’écris mes Mémoires pour ma famille et je travaille sur ordinateur », en désignant son petit bureau qui jouxte l’atelier.
Dans son appartement-atelier du XIIIe arrondissement de Paris, Gérard Cabus m’a parlé pendant plusieurs heures à cœur ouvert de sa vie, de façon intarissable – « une véritable saga » - d’une vie toujours pleine d’espoirs, avec son éternel sourire. « Je n’ai jamais eu de diplôme, me dit-il, et je tiens à le dire, c’est pour moi un honneur ! » Sa modestie dût-elle en souffrir, j’ai découvert un artiste complet aux connaissances approfondies. Et là est le principal. Longue route Gérard !
Pour la Rédaction :
Pierre-Émile GIRARDIN
Art'issime n° 36
30 juin 2015
Photos PEG et Cabus