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oute rayonnante au milieu de ses quarante œuvres exposées dans une galerie accueillante de la Butte-aux-Cailles, je retrouve Jocelyne, cette talentueuse artiste peintre, dessinatrice et coloriste hors pair, dont je suis le parcours depuis bientôt un quart de siècle dans le monde de l’art et de ses chausse-trapes. Pour une fois, elle a délaissé son Montparnasse au profit d’une autre facette du Paris artistique, littéraire, pictural, vagabond, qui s’encanaille en chansons lorsque la nuit tombe sur la Butte. Aujourd’hui, pour cette femme réservée, c’est la fête, car les visiteurs se pressent pour voir ses œuvres pleines de lumière et de poésie. Il est vrai que la grande qualité des tableaux exposés est au rendez-vous, avec un public de connaisseurs enthousiaste.
Née dans le Cœur de France, à Saint-Amand-Montrond, de parents d’origine parisienne, Jocelyne a été attirée dès la maternelle par le charbon entreposé près de la cour de récréation. Avec un copain de son âge, ils se décoraient le visage en faisant, me dit-elle, « du doux noir » au grand dam de la maîtresse et de sa mère venant la rechercher à la sortie de l’école. L’appel du fusain était lancé. Jocelyne commencera à dessiner à cinq ans et ne s’arrêtera plus. Après avoir fréquenté assidûment l’École d’art et des Arts appliqués de Saint-Amand-Montrond et poursuivi de brillantes études de latin-grec, elle entrera à la Sorbonne-Institut d’art à Paris, où elle obtiendra sa maîtrise d’histoire de l’art.
Patience et Persévérance
Après plusieurs années de recherche à la Sorbonne dans cette spécialité, une parenthèse allait s’ouvrir devant elle. Sa bonne connaissance de la langue française, ses études de latin et de grec lui permettront d’aborder le monde de l’Édition en qualité de préparateur de manuscrits, puis comme journaliste dans la presse hebdomadaire. Concomitamment, elle recommence à se consacrer à sa passion première, l’Art, et franchit le Rubicon en abordant aux rivages de la création artistique. La peinture à l’aquarelle la séduit depuis longtemps : « J’ai été attirée par la puissance suggestive de cette technique : espèce de concentré entre l’idée et le geste, entre le concept et la forme que je donne à celui-ci, avec un minimum de gestes sur le papier. Et puis, me dit-elle, quelle belle aventure que l’aquarelle lorsque je mélange avec harmonie l’eau et les pigments sur le papier. » A ma question de savoir quelles sont, selon elle, les qualités premières que doit avoir un peintre à l’aquarelle, sa réponse fuse : « C’est la patience et la persévérance que je place en premier parmi beaucoup d’autres, et notamment, la sûreté du coup de pinceau alliée à la prise rapide des décisions. »
Quant à ses rapports avec les sujets qu’elle traite, Jocelyne Chauveau me démontre que, avant d’être une aquarelliste, elle est d’abord une dessinatrice et une artiste peintre passée par les beaux-arts de la Ville de Paris sous la direction d’André Maigret, l’Académie de la Grande Chaumière à Montparnasse et celle de Port-Royal où elle a reçu l’enseignement de maîtres tel Jean Marzelle. Par la suite, elle travaillera avec Cao Bei An, Roland Palmaerts et Marie-Line Montécot, des artistes amis pour qui elle a le plus grand respect. Aussi, elle me précise : « Ce n’est pas la ressemblance au sujet que je cherche, quel que soit le sujet, mais la petite vibration lumière-couleur-mouvement qui va distancier l’œuvre de son modèle et lui donner son autonomie, ou la recomposition qui va la décaler. Jeu visuel, mais pas seulement. C’est une nouvelle réalité qui éclot, moins descriptive, plus poétique et va même jusqu’à l’abstraction, car la réalité n’est pas seulement figurative. L’abstraction est présente dans le réel, est elle-même une réalité, c’est une question d’échelle. »
Doute philosophique
Concernant la technique de l’aquarelle dans laquelle elle s’est spécialisée, elle rappelle souvent à ceux qui l’interrogent : « Je n’ai pas une technique. J’utilise toutes les approches techniques possibles que je connais pour atteindre l’effet que je souhaite et je jette aussi volontiers les essais négatifs, ne gardant parfois qu’un ou deux centimètres carrés pour poursuivre ma recherche. Il y a toujours de l’incertitude au départ, car il y a plusieurs voies possibles, et il y a toujours le doute à l’arrivée : le doute philosophique. »
J’ai vu cette belle artiste, modeste et raffinée, dessinatrice hors pair, exécuter, en démonstration publique, des portraits d’après modèle vivant directement au pinceau, mouillé dans le mouillé, sans aucune préparation préalable, ce qui est rare. Sociétaire des artistes français, en janvier 2007, et de la Fondation Taylor, elle vient d’obtenir, entre autres nombreuses distinctions, la médaille de Vermeil de la Ville de Paris. Elle expose aussi bien en France qu’à l’étranger depuis de nombreuses années.
Et elle conclut notre entretien en rappelant : « Le premier degré de la recherche, c’est la lumière : c’est elle qui construit les masses et détruit les contours des formes, c’est elle qui guide l’œil vers le point focal ou vers la sortie du tableau. La beauté ? Je sais voir d’instinct quand quelque chose est beau ou pas, mais je ne sais pas définir la beauté. La beauté est souvent quelque chose qui écrase. Je ne la cherche pas, si elle s’installe, tant mieux ; je ne la cherche pas, mais je me contrains à certaines règles de composition et d’harmonie, comme en musique. » En attendant, ce soir, la Butte-aux-Cailles était en fête et Jocelyne en était la vraie Reine.
Marc ALAVOINE
Journaliste
Rédaction d'Art'issime